En 1859, Baudelaire déclare que « tout l’univers visible n’est qu’un magasin d’images » ; en 1870, Taine affirme que l’esprit humain est «un polypier d’images». Au monde-magasin, avec son alléchant désordre, répond l’esprit-polypier, avec sa structure d’assemblage et sa prolifération. À la métaphore de la boutique du brocanteur, dans laquelle on puise les objets de l’imagination, répond celle du récif corallien, accumulation de cellules s’entassant les unes sur les autres, comme les souvenirs dans le cerveau.Dans les deux cas, l’image est l’élément primaire, l’item initial, le noyau du monde et de l’esprit. Mais quel rapport y a-t-il entre le magasin et le polypier ? comment l’un touche-t-il à l’autre ? comment l’image-objet devient-elle l’image-sujet ? et vice versa ? Les rapports entre ces deux états de l’image font l’objet, au xixe siècle, non seulement d’une réflexion philosophique sur la connaissance, mais également d’une interrogation psychologique nouvelle, qui se concentre sur les états morbides de ces rapports.On se demande alors pourquoi l’image intérieure tend à s’objectiver spontanément dans l’hallucination, et si cette objectivation est parallèle à celle que l’art propose. On se penche sur les passions extrêmes que l’image déchaîne, l’iconophilie et l’iconophobie, l’effacement des frontières entre perception et rêve, la perte du sentiment de réalité. On s’intéresse aux transformations délirantes que l’esprit impose à la sensation, on cerne les logiques de ces transfigurations dans les états induits par la drogue. Toutes ces interrogations, que la littérature soulève, ont en commun une perspective: elles montrent des situations pathologiques (maladie, manie, délire, hallucination, perversion) pour appeler un nouveau regard clinique sur l’image. L’aliénisme et la littérature se rencontrent sur cette hypothèse d’un surcroît d’intérêt que la pathologie apporte à l’image.
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